Le métier de policier implique une exposition constante à des situations extrêmement difficiles : violences, accidents graves, agressions, décès… Ces expériences marquent, souvent de manière insidieuse, ceux qui les vivent. Malgré l’armure psychologique que les policiers s’efforcent de construire, la réalité est que l’exposition répétée à la violence laisse des traces profondes, même chez les plus aguerris. En tant que psychologue clinicienne, j’accompagne des policiers dont le quotidien a érodé la santé mentale, et je souhaite ici expliquer pourquoi consulter un psychologue est essentiel pour préserver cet équilibre.
Les troubles psychologiques liés à l’exposition répétée à la violence
Les policiers sont souvent confrontés à des scènes traumatisantes de façon répétée. Cette exposition peut entraîner divers troubles psychologiques qui ne se manifestent pas toujours immédiatement, mais qui peuvent altérer profondément la qualité de vie au fil du temps.
- Trouble de stress aigu (TSA) : Survient dans les jours ou semaines suivant un événement traumatique. Il se manifeste par des flashbacks, des cauchemars, une anxiété intense et une hyper-vigilance. Par exemple, un policier ayant vécu une intervention violente peut se retrouver à revivre la scène lors de moments inattendus, perturbants ainsi que sa vie quotidienne.
- Trouble de stress post-traumatique (TSPT) : Le TSPT est une évolution possible du TSA et l’un des troubles les plus graves associés à l’exposition à des événements traumatisants. Il se manifeste par des reviviscence intrusives, des cauchemars, des comportements d’évitement (éviter les situations rappelant l’incident), une hyper-vigilance constante, et des difficultés à ressentir des émotions positives. Par exemple, un policier ayant été témoin d’une agression peut développer une aversion à se rendre sur des lieux similaires, craignant de revivre les émotions ressenties.
Illustration : Imaginez un policier intervenant sur une scène d’homicide domestique. En pleine nuit, il est appelé sur les lieux pour séparer des membres d’une même famille en pleine altercation violente. L’image du corps inerte qu’il découvre en entrant ne le quitte plus. Même s’il tente de se concentrer sur son travail, des flashbacks de la scène surgissent occasionnellement lors de moments de calme, le plongeant dans un stress intense. Ce policier commence à éviter les interventions liées aux violences familiales, redoutant de revivre une situation similaire.
- Troubles de l’humeur et dépression : L’exposition répétée à des événements traumatisants peut provoquer des troubles de l’humeur, tels que la dépression. Celle-ci se caractérise par une perte d’intérêt pour les activités, un sentiment de désespoir, une fatigue intense, et des idées noires. Les policiers peuvent ressentir une culpabilité, notamment s’ils estiment avoir échoué dans leurs interventions, alimentant un cycle de pensées négatives.
- Troubles anxieux généralisés : L’anxiété généralisée se traduit par une inquiétude constante, des ruminations, et une sensation d’être en danger en permanence. Par exemple, un policier peut développer une hyper-vigilance extrême, vérifier compulsivement les serrures chez lui ou anticiper des scénarios catastrophiques lors de ses interventions.
- Troubles du comportement : L’exposition répétée à la violence entraîne souvent des comportements d’évitement, de l’agressivité, ou un recours excessif à l’alcool ou aux médicaments pour « faire passer » le stress. Ces comportements deviennent rapidement des stratégies de coping inefficaces qui aggravent les symptômes.
- Troubles du sommeil : Les cauchemars, les insomnies, et les réveils fréquents sont fréquents chez les policiers exposés à des scènes violentes. Un mauvais sommeil augmente l’irritabilité et diminue la concentration, rendant le travail encore plus difficile.
Le mythe de l’endurcissement : aucun policier n’est imperméable à la violence
Il est courant de penser qu’avec l’expérience, on finit par s’habituer aux scènes violentes. Pourtant, cette idée est fausse. Même les policiers les plus aguerris ne sont jamais complètement endurcis. Selon les travaux de Litz et al. (2009), l’exposition répétée ne rend pas insensible ; elle érode plutôt lentement les défenses psychologiques, parfois de façon imperceptible jusqu’à ce qu’un événement de trop déclenche une réaction intense.
Un policier peut se dire qu’il est formé pour « encaisser » et continuer, mais chaque scène laisse une trace, même minime. Les policiers sont souvent perçus comme des figures inébranlables, mais il est essentiel de prendre conscience que le suivi psychologique ne doit pas être vu comme une solution de dernier recours, mais comme une mesure de prévention et de soin, au même titre que l’entraînement. physique ou le respect des protocoles de sécurité.
Illustrations : témoignages et réalités
Prenons l’exemple d’un policier intervenant sur une prise d’otage dans une école. Bien qu’il ait suivi des formations pour gérer ce type de situation, l’intensité émotionnelle de devoir négocier sous pression tout en voyant les visages ouverts des enfants lui laisse une marque indélébile. Après l’intervention, il ressent une profonde anxiété chaque fois qu’il doit passer près d’une école, un signe d’évitement typique des troubles post-traumatiques.
Autre situation fréquente : les patrouilles nocturnes. Un policier est appelé pour vérifier un signal de coups de feu dans un quartier sensible. En arrivant sur les lieux, il découvre une scène chaotique avec plusieurs blessés et des témoins en état de choc. Les cris, l’odeur de poudre et la tension ambiante ne quittent plus ses pensées, même lorsqu’il est chez lui. Il commence à devenir irritable, à éviter les discussions avec ses proches, et à consommer de l’alcool pour « oublier » les images qui hantent ses nuits.
Ces exemples montrent que, loin de s’endurcir, chaque intervention laisse des empreintes sur le psychisme des policiers. Même les plus expérimentés finissent par ressentir le poids accumulé de ces scènes violentes, soulignant l’importance d’un soutien psychologique adapté.
Reconnaître les signes et consulter : pourquoi agir tôt ?
Reconnaître les signes des troubles liés au stress et au traumatisme est crucial pour prendre soin de soi. Beaucoup de policiers minimisent leurs symptômes par crainte de paraître faibles ou pensent qu’ils finiront par s’en remettre. Cependant, ces troubles peuvent s’aggraver et affecter non seulement la vie personnelle, mais aussi la capacité à travailler efficacement et en sécurité.
Consulter un psychologue offre un espace pour parler, comprendre ses réactions, et apprendre à gérer les symptômes avant qu’ils ne deviennent invalides. Le suivi psychologique ne signifie pas que l’on est fragile, mais qu’on prend soin de soi pour mieux continuer à exercer.
Prendre soin de soi, pour mieux prendre soin des autres
Être policier est un métier exigeant, confronté et rempli de défis. La prise en charge de sa santé mentale est essentielle pour continuer à protéger les autres tout en se préservant soi-même. Les troubles liés à l’exposition répétée à la violence sont fréquents et peuvent toucher n’importe qui, quelle que soit l’expérience ou la robustesse apparente. Consulter un psychologue, parler de ses ressentis, c’est déjà un premier pas vers le rétablissement et une meilleure gestion des défis quotidiens.
Ne laissez pas les symptômes s’enraciner, agissez tôt pour préserver votre bien-être et continuer à servir avec sérénité.
Voici des conférences et reportages sur YouTube qui abordent les effets du stress post-traumatique chez les policiers et les professionnels exposés à des événements violents :
- Stress post -traumatique chez les policiers
Une conférence qui traite spécifiquement des impacts du stress post-traumatique sur les policiers, avec des témoignages et des explications sur les signes et les conséquences psychologiques. - Stress post -traumatique : les conséquences d’années de police sur Thierry – Ça commence aujourd’hui Un témoignage poignant sur les impacts psychologiques d’années de service dans la police, avec des discussions sur les effets à long terme du stress accumulé.
- Conférence sur le stress traumatique du Dr Catherine Verney lors de la semaine du cerveau 2022 Une conférence ressortira par le Dr Catherine Verney, qui aborde les mécanismes du stress traumatique et ses implications, particulièrement pertinentes pour les métiers confrontés à des événements difficiles.
A lire:
Girard, C. et El Baze, AV (2024). J’ai failli en finir – Stress, dépression, suicide : le témoignage choc d’un flic .
Van der Kolk, B., Weill, A. (Trad.) et Wiart, Y. (Trad.). (2020). Le Corps n’oublie rien: Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme.