Le viol et le psychologue: réflexions suite à l’interview dans le Figaro du 06 Juillet 2011

31 Mar 2016 | Psycho-criminologie, Revue de presse, Victimologie | 0 commentaires

Une journaliste du Figaro a souhaité obtenir certains éclaircissements relatifs aux mécanismes à l’oeuvre chez les victimes d’ agressions sexuelles. L’interview prenant place dans le contexte sensible des accusations envers DSK, je profite de cette occasion pour apporter differents compléments d’analyse dans cet article. Il sera suivi d’ autres billets sur le thème de la psychologie du viol.

Le scandale de l’affaire DSK a été relancé en France par les accusations de Tristane Banon à l’encontre de l’ex-directeur du FMI, propos nettement relayés par les organismes de presse et l’ensemble des médias. Face aux interrogations nombreuses entourant la véracité des faits, j’ai été sollicitée par le Figaro pour répondre à quelques questions relatives aux victimes d’ agressions sexuelles en général. Evidemment je ne me permets en aucun cas de porter une opinion sur le crédit à apporter aux dires de Madame Banon qui font l’objet d’ une enquête, ne connaissant des faits que ce que les médias en ont relaté. Les morceaux choisis de cette entrevue ont été publiés dans l’édition du 6 Juillet 2011. ( vous pouvez visualiser l’intégralité du reportage ou visiter le site du figaro.fr)

Afin de décrire les mécanismes que peuvent adopter les victimes de viol ou d’ agressions sexuelles et d’étudier en quoi le travail avec un psychologue est fortement préconisé je débuterai par reprendre en substance les éléments tels qu’ils ont été présentés dans le quotidien en y apportant certains commentaires préalables.

LE FIGARO. – Quels mécanismes psychologiques conduisent une victime à porter plainte des années après les faits ?

Alexandra MOINS.- On peut tout d’abord relever le degré de proximité avec l’agresseur. On a beaucoup plus de mal à porter plainte contre quelqu’un de sa famille, de son voisinage, un collègue de bureau que contre un anonyme. La première explication à ce phénomène est la peur: celle des représailles, des relations au quotidien et du regard des autres.

LE FIGARO. – Mais quand l’agresseur présumé est un personnage public ?

Alexandra MOINS.- Le pouvoir et les pressions que peuvent évoquer un personnage public complique encore plus les choses car la victime s’expose au regard de l’opinion entière et plus seulement de son entourage. Les enjeux sont plus grands, la responsabilité aussi et la victime sait que sa crédibilité sera dix fois plus mise en doute car on sera beaucoup plus attentif à vérifier l’authenticité des faits.

Devoir réévoquer l’agression, donc la revivre, et, par surcroit, le faire de manière publique, c’est beaucoup de pression et c’est souvent pourquoi les plaignantes hésitent longtemps avant de se lancer dans une procédure judiciaire, voire ne le font pas du tout. Surtout si leur entourage familial n’est pas là pour les soutenir.

LE FIGARO. – Comment expliquez-vous la désinvolture que l’on reproche à Tristane Banon lorsqu’elle évoque les faits présumés dans l’émission de Thierry Ardisson ?

Alexandra MOINS.- La banalisation des actes traumatiques est un mécanisme de défense bien connu. C’est un moyen de se réapproprier les événements, de se constituer une carapace, une façon de mettre émotionnellement à distance des événements douloureux que, souvent, on a seulement partiellement reconnus et pour lesquels on éprouve toujours un sentiment de culpabilité.

Commentaires préalables
Sans entrer dans la polémique naturelle que suscite ces thèmes de grande actualité, j’aimerai apporter certains commentaires à ces propos afin qu’ils ne soient pas sortis de leur contexte.

En aucun cas les éléments repris ci dessus ne doivent être perçus comme un plaidoyer en faveur de la victime supposée de l’affaire Banon. Bien que les questions s’appuient logiquement sur un cas à la une de la presse, les propos visent à mettre à jour certains aspects de victimes avérées d’agressions sexuelles. Cette intervention sur les mécanismes psychologiques n’intervient donc pas dans à proprement parler dans un cadre expertal où le psychologue doit se prononcer sur le degré de plausibilité d’ accusations.
En outre ils ne constituent que certaines clés d’ analyses, telles qu’elles m’ont été donnée d’ observer dans ma pratique. Bien entendu et comme il est essentiel de le rappeler ces éléments ne sont absolument pas systématiques et dépendent de très nombreux facteurs psychologiques.

Enfin le phénomène de banalisation évoqué ici est beaucoup plus complexe qu’il n ‘y parait, peu d’ études y faisant référence et mon analyse. J’y reviendrais plus longuement.